La chronique Cindy Pomares : Le peloton féminin face à son hétérogénéité La chronique Cindy Pomares s'intéressé au cyclisme féminin, à ses stratégies et son développement. Photo : Cor Vos

Cindy Pomares, sociétaire de l’équipe britannique Awol O’Shea se livre sans détour dans sa chronique sur le cyclisme féminin. Elle met un coup de projecteur sur le cyclisme féminin 2023 en espérant emmener dans sa roue, les lecteurs et fins connaisseurs du circuit professionnel masculin.

Bienvenue dans ma chronique spécialisée sur le cyclisme féminin. Si vous êtes prêts, alors ajustez vos Jerseys, et osez prendre la roue des femmes sans rechigner.

« Je ne vois qu’un seul et même sport populaire »

Ces derniers jours, le Giro Féminin et le Tour de France ont partagé l’affiche. Le second cité a quelque peu éclipsé le premier. Logiquement. Loin de moi l’idée de dénigrer le Tour de France masculin et de faire un article aux revendications ultra-féministes. Bien au contraire, je fais partie de celles et ceux qui totalisent plus de 3000 points dans leur équipe Fantasy by Tissot, qui crient sur les bords des routes ou derrière la télévision et qui sont sincèrement attristés de la chute et abandon du Cav’.

En fait, je ne vois qu’un seul et même sport populaire, évoluant au fil du temps, qui continue de rassembler autant de passionnés et de pratiquants. D’ailleurs, je suis convaincue que les lecteurs de l’ancien journal « le miroir du cyclisme » sont désormais impatients de recevoir les notifications digitales de TotalVelo.

Qui osera me dire en 2023 « qu’une femme sur un vélo, c’est moche »

Alors si vous avez besoin de vous mettre à la page, pour dévorer la totalité des articles, et ne pas laisser le versant féminin dans le fossé, laissez-moi, vous faire un point sur la situation, vu du cœur du peloton, avec plus ou moins de lucidité.

Il est évident que le cyclisme féminin se développe et gagne chaque jour en médiatisation et en supporters. Certains sont d’ailleurs entièrement dévoués, à l’image d’un MacFly, présent sur toutes les courses féminines du nord de l’Europe, caché dans un coq tricolore, mais souvent démasqué par ses chants personnalisés… Lorsqu’il a le temps, il reste sur les courses de nos homologues, mais avec bien moins d’éclats de voix.

Chez les femmes, les courses, le style, les parcours et les distances ont évolué. Alors, excepté les traces de bronzage douteuses en début de saison, apportez-moi sur-le-champ la personne qui osera me dire en 2023 (Marc Madiot ou autre), « qu’une femme sur un vélo, c’est moche ».

La domination SD Worx

Pour débuter et ne froisser personne, partons sur quelques similitudes, qui vous donneront le goût de remettre du carburant dans le camping-car fin juillet pour une quatrième semaine de Tour du côté de Clermont-Ferrand, Cahors, Albi ou Pau sur l’édition féminine.

Cette saison, une équipe domine de la tête et des épaules (enfin plutôt du boyau ou du tubeless..). Sur le papier, elles sont une jambe au-dessus des autres : la SD Works.

Dans le peloton, elles imposent leur rythme, leur style, leur stratégie, et même leurs coudes pour se placer et tout contrôler. Entre pistarde, spécialiste du cyclocross ou du contre-la-montre, elles sont polyvalentes et capables de gagner dans tous les scénarios de courses avec toutes leurs coureuses. Début juin, sur la Lotto Thüringen Ladies Tour, elles ont remporté 6 victoires sur 6 étapes, avec 5 coureuses différentes.

Partons sur un petit quiz :

Lotte Kopecky (SD Works), coureuse offensive, aussi à l’aise sur les pavés, que sur les échappées solitaires de fin de course ou les sprints massifs. Elle enchaîne les succès et les maillots lorsqu’elle ne se métamorphose pas en équipière de luxe ou en poisson pilote pour la plus sprinteuse des sprinteuses, Lorena Wiebes (SD Works). Ça vous fait penser à quelqu’un ? Van Aert bien sûr !

Petite parenthèse, j’ai battu et mis un tour de piste à Lorena Wiebes, en avril 2022 sur une course aux points lors du D6 Night d’Amsterdam. C’était sa première fois sur piste, en roue à rayons. Mais, il est important de laisser une trace écrite de ces petites victoires personnelles et de rêver à ses 1400W au sprint…

Cindy Pomares et Lorena Wiebes sur la piste d’Amsterdam.

Revenons à la leader de cette équipe SD Works ; Demi Vollering s’appuie sur la meilleure équipe mondiale et excelle dans la mission de terminer le travail collectif avec des efforts, à rendre admiratif un Antoine Vayer. Ça vous fait penser à quelqu’un ? Bingo, Vingegaard.

Collectif offensif et stylé à l’image d’un WolfPack, mais, elles se rapprochent davantage de la Jumbo-Visma, selon moi, parce qu’elles gagnent… 48 victoires cette année !

Elles gagnent tout, enfin presque, une irréductible Annemiek Van Vleuten (Movistar) résiste encore et toujours. Ainsi, elle a réussi à chiper les derniers maillots jaune et rose à l’Armada SD Works, malgré une équipe un peu moins fournie lorsque la course s’emballe. Ça vous fait penser à quelqu’un ? Pogacar et UAE !

Et les Françaises dans tout ça ?

Évidemment, pour n’en citer qu’une, calons-nous sur l’actualité. J’ose espérer que vous avez pris connaissance du podium de Juliette Labous (Team DSM Firmenich) sur le Giro qui vient de se clôturer. J’ose espérer que vous avez vu les images de ses efforts dans la Cima Paravenna. Si ce n’est pas le cas, les replays existent !

La comparaison pourrait donc aller du côté d’un Romain Bardet, coureur de classement général, discret, expert dans son approche, fin dans ses tactiques et ressentis, avec une ressemblance notable jusqu’au même Jersey d’expatriée chez DSM-firmenich. Effectivement, très forte ressemblance avec une belle valeur ajoutée sur l’exercice du contre la montre pour Juliette (9e au Jeux Olympiques de Tokyo)

Chauvinement, je ne peux parler cyclisme féminin français sans citer Audrey Cordon-Ragot (Human Powered Health) en 2023. À l’instar d’un Kwiatkowski (INEOS Grenadier), ou d’un Philippe Gilbert, que ce soit sur le vélo, en dehors ou même aux commentaires, c’est une battante expérimentée (Multiple Championne de France) qui a su construire, légitimer et honorer le rôle d’équipière sans enterrer sa valeur personnelle.

Lors du Tour des Pyrénées, lorsque le peloton a posé le pied à terre en milieu d’étape, elle a été une véritable porte-parole du mouvement, au cœur des discussions entre le peloton, les organisateurs et l’UCI. Nous y reviendrons.

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« Les femmes ne doivent pas se calquer sur le cyclisme masculin »

Loin de moi, l’idée de vouloir comparer le cyclisme féminin et masculin. Il est clair, que les femmes ne doivent pas se calquer sur le cyclisme masculin. Comme dans mes cours d’EPS, les barèmes sur les activités athlétiques sont différents. Cependant, une partie reste similaire…

Mon idée est plutôt de montrer des similitudes pour susciter l’engouement mérité. Des controverses existent quant à la volonté ou non d’allonger les distances, d’augmenter la durée des Grands Tours ou encore d’ajouter certaines courses masculines au calendrier féminin. Ces débats sont légitimes. Je suis d’avis que cela serait réalisable et bénéfique pour le « haut du panier », mais serait pour l’instant contre-productif pour l’homogénéité du peloton.

En effet, sans langue de bois, sur la majorité des courses WorldTour, on assiste à un combat final dans le dernier tiers de la course entre les 25 meilleures mondiales.

Alors comment expliquer cette domination d’une équipe ou d’un si petit effectif ? Réponse simple, c’est la loi du sport ; ce sont des phénomènes, intrinsèquement plus fortes. Exact, essayons quand même d’aller plus loin. Qu’en est-il en termes de préparation, d’accompagnement, de stratégies individuelles et collectives ? Ont-elles une meilleure approche des courses ou est-ce un retard de stratégie des adversaires ?

Évidemment la partie génétique est un facteur important. Mais de la première à la dernière, sur le niveau Continental et World Tour, les filles ont des dispositions et des watts au-dessus de la moyenne.

Le problème est donc peut être lié au regroupement d’athlètes hors normes au sein d’une seule et même équipe. Les différences de budget entre les 18 équipes World Tour, et plus encore lorsqu’on y ajoute les 55 équipes Continentales, entraînent des disparités de recrutement et d’accompagnement, nuisibles à l’homogénéité, aux scénarios divers et aux rebondissements. C’est la loi du marché, qui peut s’avérer parfois contradictoire avec la pure dimension sportive.

La stratégie des équipes féminines

Au-delà de cet aspect financier, le problème ne viendrait-il pas de l’approche stratégique des équipes ?

Les courses type classiques, à l’international, sont offensives du départ à l’arrivée. Ça roule de plus en plus vite, (avec ou sans pavés), ça frotte de plus en plus. On voit peu d’échappées partir « en facteur », devenir fleuve ou « d’échappées au long cours » victorieuses. Il y a clairement une vraie guerre des nerfs et du cardio pour prendre l’échappée. Il faut parfois attendre le 22e contre ou le fameux petit pont d’autoroute pour créer la cassure !

On peut reprocher aux hommes d’être ultra-stratèges, de rouler au millimètre, d’être plus à l’écoute de leur oreillette que des oiseaux. Mais leur collectif est fort, dévoué, et perpétuellement orienté ! Je reproche aux équipes féminines, principalement en Continental, de ne pas suffisamment valoriser le rôle de l’équipière dans le recrutement et lors des briefings.

Certaines coureuses, dès le départ, sont uniquement dans l’optique de survivre ou à l’inverse ultra focalisée sur une mission de quête de points UCI, comme si c’était un graal à vendre en fin de saison auprès des équipes en haut du tableau. Mais, cette mission est de plus en plus difficile et la réussite de plus en plus rare en réfléchissant dans cette optique individuelle, en pensant davantage à sa fiche coureur ProCyclingStats qu’à sa couleur de maillot. Les équipes étrangères qui roulent, se placent, évoluent en bloc s’envolent, et bien souvent avec une puissance moyenne inférieure à une routière esseulée, ballottée, malmenée.

Alors oui, il faudrait accepter de se sacrifier et de « se garer » à la suite d’un dernier relais où les watts sur le compteur deviennent flous. Tout cela, en laissant ses dernières forces et surtout ces derniers espoirs de graal sur ses coéquipières. C’est le cyclisme que j’aime voir et que personnellement j’aime vivre.

Le cyclisme féminin se professionnalise de plus en plus avec des stratégies bien distinctes pour les équipes les plus évoluées. Photo : Cor Vos

Le Did Not Finish « mensonger »

Ayant goûté au DNF (Did Not Finish) « mensonger » ; une spécialité belge amer et assez indigeste, il est d’autant plus évident de se remettre en cause. Lorsqu’un groupe, quel que soit son nombre, se retrouve à plus de 3 minutes de la tête de course aussi petite soit-elle, il est considéré non classé.

Alors, quitte à être DNF, dans un paquet de 50 unités comme à Mouscron ou 70 comme à Binche, (tout en réalisant la totalité du parcours, soit-dit en passant) pourquoi ne pas tenter de rouler collectivement pour remonter, combler ou peser davantage ?

Pour conclure, bien plus qu’un appel à « WATCH THE FEMMES », merci d’avoir pris le temps de lire cette chronique, qui n’engage que mon clavier. Vous êtes maintenant prêts à démarrer la seconde partie de cette saison 2023, qui promet de belles batailles et de futures chroniques passionnantes du côté du cyclisme féminin…

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