Pourquoi la bataille pour le maillot rose a déçu sur le Giro 2023? Primož Roglič, Geraint Thomas et João Almeida forment le podium du Tour d'Italie 2023. Photo : Cor Vos

Des échappées qui vont au bout, des sprints disputés : l’intérêt du Giro 2023 n’a pas résidé dans la lutte pour le classement général si l’on retire le drame du dernier contre-la-montre. Quelles en sont les raisons?

Il a fallu attendre le contre-la-montre de la 20e étape pour que le Giro 2023 fasse vibrer les spectateurs dans sa bataille pour le classement général. Jusque-là, les étapes de montagne ont été animées principalement par les échappées. Les banderilles de João Almeida et Geraint Thomas au Monte Bondone et celles de Primož Roglič dans le final de Fossombrone et au Val di Zoldo ont un peu réveillé le public mais globalement l’attente a été longue et les espoirs de spectacle déçus. Les étapes du Gran Sasso, de Crans-Montana et des Tre Cime di Lavaredo avaient suscités beaucoup d’espoir pour finalement quelques attaques tardives sans conséquences importantes pour le maillot rose. Comment expliquer cela?

Un peloton épuisé

Ce qui semble être la principale raison de cet attentisme est la fatigue générale des coureurs qui ont affronté des conditions climatiques dures pendant trois semaines. Ce Tour d’Italie fut extraordinairement pluvieux. Les précipitations qui se sont abattues sur le pays ont provoqué des inondations mortelles. Les organismes ont été mis à rude épreuve et les maladies ont décimé le peloton qui ne compte que 125 survivants à Rome. Les chutes et la crainte de la chute ont conduit les favoris à une prudence drastique, et parfois vaine car plusieurs sont allés à terre.

Dans ce contexte, il s’agissait de survivre pour atteindre la dernière semaine et avoir une chance de jouer le podium. Evenepoel, Geoghegan Hart, Vlasov, Pozzovivo, Urán et même Carthy, qui a abandonné plus tard très affaibli, n’ont pas eu cette opportunité. Toutefois, cette sélection est la règle dans tous les Grands Tours et ne peut pas tout expliquer.

Un parcours peu propice aux offensives ambitieuses

Le Giro a été dessiné pour favoriser les échappées avec des étapes exigeantes dans leur première partie comprenant des dernières difficultés placées trop loin de l’arrivée pour forcer une bataille de favoris. C’était l’inverse en dernière semaine où les grandes étapes de montagne proposaient de nombreux kilomètres plats pour qu’un groupe sorte. Ceci fait, les favoris n’étaient plus en jeu pour jouer la victoire d’étape. Cette édition aurait gagné à proposer plus d’étapes courtes, dures et nerveuses.

La présence de trois contres-la-montre a fait la particularité de ce Tour d’Italie vis-à-vis des autres Grands Tours. Ils ont attiré des rouleurs-grimpeurs pas forcément attirés par le prestige des étapes de montagne et qui ont en permanence cherché à s’économiser en vue de ces « épreuves de vérité ». Les organisateurs ont finalement eu raison car le chrono du Monte Lussari a proposé un final magnifique et un déroulé dramatique dont on se souviendra. En revanche, tout ce qu’on retiendra des étapes de montagne en ligne sera le nom du vainqueur.

Une étape reine mal positionnée

L’étape des Tre Cime di Lavaredo a été la principale victime de la présence du contre-la-montre le lendemain. Les favoris n’ont pas roulé derrière l’échappée et ont attendu les deux derniers kilomètres pour bouger sur un parcours qui était, en théorie, propice à une course de mouvement. Le fait qu’elle intervienne à la 19e étape avec des coureurs déjà en état de fatigue avancé n’a pas aidé. « Mais le jour le plus important, c’est demain (samedi) », déclarait Primož Roglič. Si les deux étapes avaient été inversées, le scénario aurait été différent.

Les dynamiteurs hors jeu

L’intérêt de ce Tour d’Italie 2023 aurait dû être la confrontation entre la vieille garde (Thomas, Roglič) et la nouvelle incarnée par Remco Evenepoel. L’attaque de Roglič lors de l’étape de Fossombrone où il a distancé le champion du monde a donné un aperçu de cela aurait pu donner. Evenepoel parti, il n’y avait plus l’élément d’incertitude. Nous savions déjà à quoi nous attendre avec ces deux autres champions dont les forces, les faiblesses et la manière de courir globalement suiveuse sont connues.

La méforme de Hugh Carthy fut une autre pénalité pour le spectacle. On sait que le Britannique est un véritable attaquant. Il l’a d’ailleurs montré tentant sa chance à Crans-Montana. Thibaut Pinot était bien en forme lui. Il n’a pas eu peur d’attaquer de loin et ses échappées ont fourni le divertissement donc le public avait besoin. Malheureusement, il n’a jamais été en position de menacer le podium. Là encore, l’influence des deux premiers chronos a pénalisé le suspense en montagne.

INEOS aux commandes, Jumbo-Visma en attente

Le fait que Geraint Thomas se retrouve leader en début de deuxième semaine a mis le poids de la course sur les INEOS Grenadiers. Ainsi, ils nous ont servi la même recette qu’ils appliquent depuis 2011 : laisser progressivement partir des échappées peu dangereuses pour décourager les attaques dans le final, contrôler à distance et imprimer un gros tempo dans les ascensions. Sauf que cette fois l’équipe était diminuée et une stratégie agressive de la part d’autres formations aurait pu les bousculer. Il semble que celles-ci semblaient s’en satisfaire.

De plus, Pinot a été le seul membre du top 10 à risquer de tout perdre dans des offensives audacieuses. Bahrain Victorious, BORA-hansgrohe et Jayco AlUla ont préféré viser la victoire d’étape en montagne (avec succès d’ailleurs) pour Buitrago, Haig, Konrad, Zana ou Hepburn plutôt que de se lancer dans une aventure incertaine avec Caruso, Kämna ou Dunbar. Leknessund n’avait pas l’équipe pour faire bouger les choses, les Jumbo-Visma ont attendu le chrono en couvant Roglič et Almeida a cru qu’il pouvait gagner à la loyale suite à son succès au Mont Bondone. Il n’a pas mis la force collective d’UAE à profit.

Des attentes trop francophones?

La déception frappant ce Giro n’est peut-être qu’un point vue de supporters n’ayant plus de candidat pour la victoire finale. Après l’abandon d’Evenepoel et Pinot un peu trop loin du podium, les enjeux ont baissé et le spectacle a paru plus morne. Un Slovène, un Britannique ou un Portugais a certainement vibré davantage pour ce match à trois avec ces écarts si serrés et ce dénouement épique.

Le mélange de ces causes donne ce sentiment d’une lutte pour le maillot rose peu mémorable. Le Giro 2023 a tout de même offert de jolis épisodes même si l’attente a été parfois longue. L’étape historique a eu lieu : ce fut le Monte Lussari et pas les Tre Cime di Lavaredo. C’est un rappel qu’un contre-la-montre peut aussi faire vivre des sensations remarquables.

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